Grumbleries

Sacré nom de non !

Cunégonde et Adalbert en pleine concentration créative

Depuis plusieurs mois, les boulets de la pub’ ont trouvé un nouveau concept qui les fait tellement frétiller qu’ils se le refilent les uns aux autres comme une maladie vénérienne : le « lâcher de prénoms ». Ce truc-là a commencé dans les reportages formatés des journaleux-robots de l’audio-visuel (« A sept heures, Georgette commence sa tournée de factrice », texte en voix off à dire évidemment avec le ton insupportable adopté dans tous les formats de type « Chic, aujourd’hui, je serre des méchants au petit matin avec la BAC et je les menotte en calbouze au radiateur ».)

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Quatre fientes de novlangue

1/ « Vivre ensemble ». Dans la série des mots technos les plus laids, le « vivr’ensemble », braillé à tout bout de champ par nos élites, est le pire, ces temps-ci. Je le déteste pour sa signification, déjà : pas que je sois particulièrement agressive envers les autres, mais franchement, là, j’en ai ras le bol. Non merci, pas de « vivr’ensemble » pour moi, c’est définitif. Je réclame le droit de pouvoir m’éloigner, autant géographiquement que mentalement, de ceux qui m’insupportent, de ne pas partager leurs valeurs, leurs horaires, leurs manies, leur foi ou leurs convictions politiques. Je ne veux pas boire un coup et fraterniser avec l’ennemi sous prétexte qu’il vit dans le même pays que moi. Et, accessoirement, je veux pouvoir le dire sans qu’on vienne me les briser menu. Ceci dit, je reste écorchée par l’expression même, par cette façon de traiter un verbe et un adverbe. Un peu comme si on lançait des expressions comme « le manger debout », « le conduire bien », « le marcher vite », « le lancer loin ». Vous voyez ? C’est affligeant de mocheté.

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Course du R.À.T

Vieux dessin de Sophiek

P’tit Padawan, j’vais t’résumer
Ce dont je n’ai rien à taper.
Tu pourras ajouter tes rats
A la cavalcade des miens,
Et dès lors, il n’y manquera
Plus que la flût’ de Hamelin.

R.à.t, donc, (qui rime avec oignon) :

…de Hollande et de ses nouveaux lorgnons.
…des errances de Matignon.
…de l’affaire Bygmalion.
… des scissions chez Mélenchon.
…du nettoyage des plages d’Arcachon.
…que neuf Français sur dix aiment leur prénom.
…du Festival d’Avignon.
…du découpage des régions.
…des disputes entre Marine et Marion.
…de qui (re)prendra la tête de Libération.
…de BHL et des ses opinions.
…de l’Argh Contemporain et de ses installations.
…de l’ensemble des religions.
…de l’achat des cartables en juillet ou non.
…que les Bleus gagnent ou perdent au ballon rond.
…que Laure fasse défiler ses beaux arpions.
…que Depardieu se pochetronne grave ou non.
… de Bettencourt et de tout son pognon.
…de Facebook et de ses émotions.
…de Baupin et de sa transition.
…des Halles et de son laid bubon.
…des fêtes et des inaugurations.
…des lecteurs du Monde et de leurs réactions.

F’tez-nous la paix, bon sang !

Souvenez-vous de la fameuse phrase de Pompidou à Chirac : « Mais arrêtez donc d’emmerder les Français ! Il y a trop de lois, trop de textes, trop de règlements dans ce pays ! On en crève ! Laissez-les vivre un peu et vous verrez que tout ira mieux. Foutez-leur la paix ! Il faut libérer ce pays ! » Il avait fichtrement raison. Et on ne l’a fichtrement pas écouté… Je ne sais pas si c’est pour contrer l’impuissance grandissante des gouvernements ou pour obéir aux technos paranos de Bruxelles, mais nous sommes désormais absolument ensevelis sous des tonnes de normes, de lois, de décrets ou de règlements dans tous les domaines*. Chez nous, rien qu’entre 1995 et 2005, 473 lois ont été votées. On imagine bien que depuis, ce chiffre s’est encore accru ! Cela semble impossible de toutes les dénombrer. En son temps, Mitterrand avait voulu le faire. La commission chargée de ce travail, épuisée et dépassée, a fini par jeter l’éponge. Selon certaines sources, on en serait à 11.000 lois et 130.000 décrets.

Pompidou devait être un peu taoïste… Au fond, on devrait forcer tous les gouvernants à relire Lao-tseu ou Tchouang-tseu avant d’agir. Trois cents ans avant Jésus Christ, ils avaient déjà tout pigé. Voici un extrait du « Voleurs de coffrets » écrit par Tchouang-tseu (Oeuvre complète, Folio essais). Probablement surprenant pour qui n’a pas encore saisi le taoïsme, et pourtant éclairant.

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Neuneuland s’en-va-t-en-guerre

Petit Padawan*, aujourd’hui, je te l’avoue bien humblement, je me suis encore énervée. Tellement, même, que j’ai coupé le kiki (virtuellement) à cette pauvre Élise (pas celle de la Lettre, celle du Journal de 13 heures de France 2), Élise contre qui, pourtant, je n’ai que peu de récriminations, a contrario de son collègue David (que j’ai insulté copieusement, pendant des mois, à chaque apparition, jusqu’au jour où j’ai compris que le zapping était la manière la plus simple d’épargner mes nerfs).

Je ne comprends pas bien, décidément, ce qu’il se passe dans les rédactions des journaux magazines d’infos de la télévision. Je te résume un chouïa le sujet du jour : donc, l’armée est envoyée se battre contre des terroristes en Centrafrique, et deux de nos soldats se font tuer. Qu’on ouvre les infos là-dessus, je le comprends parfaitement, deux jeunes gars ont perdu la vie, c’est triste. Mais voilà qu’Élise en fait des quintaux, sur le mode « Kua ? Deux militaires sont morts au combat ? M’enfin c’est un scandale !!! »

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Mot moche en cours : emploi

Edward Hopper

Mot honni en passe de terrasser complètement les mots « travail » et « métier ». Normal en ces temps de disette intellectuelle et de chômage de masse, dans une époque où l’élite autoproclamée voudrait voir disparaître ces pue-la-sueur d’ouvriers, de paysans et d’artisans pour les remplacer par d’aimables Kent cravatés ou des Barbies mises-en-plitées debout derrière des comptoirs ou assis derrière des ordinateurs. Depuis que les femmes de ménage sont devenues des « techniciennes de surface », il était logique de remplacer les mots « travail » et « travailleurs », un peu rudes pour les beaux esprits à la conscience encore titillée*, par « emploi » et « employés », ces mots apparemment plus neutres. Pour ceux qui savourent la langue française dans sa très riche complexité, ça ne passe pas, cependant. Car l’employé, on le devine, n’est qu’un « ployant » interchangeable et corvéable, là où le travailleur, ayant gagné respect et galons dans les nombreuses luttes de classe du XXe siècle, s’accroche comme une tique furieuse à son entreprise menacée, ce qui est assez gênant pour les affaires, n’est-ce pas, mon cher. Quant à celui qui pratique un « métier », il démontre par sa seule existence que le savoir faire ne s’acquiert pas en claquant des doigts, et que si on le jette, on jette avec lui l’expérience acquise au cours d’une vie, et voilà qui est aussi terriblement gênant, car cette idée de valeur et de maîtrise ne cadre pas DU TOUT avec l’idée, que les ploutocrates répandent partout, que tout le monde humain se vaut dans tous les domaines.  Mais il est logique que les banquiers qui nous dirigent utilisent les mots qu’ils aiment : autrefois, l’employé était forcément « de banque ». (Aujourd’hui, il l’est « de casino », ce qui revient au même.)

*Titillée, certes, non par l’injustice sociale, mais juste par le fait que celle-ci soit visible, ô horreur !

Flemme de Titan

Monty Python, Graz graffiti, « Le Ministère des Démarches Imbéciles »

Oh là là. Mais alors une mega-flemme, un Everest de manque d’envie de participer comme je n’en avais jamais éprouvé – enfin si, quand j’étais petite et qu’il fallait reprendre l’école, les cours de maths et de géographie, et entendre ensuite les mêmes litanies dans la cour de récré.

Je n’ai pas la flemme de travailler, notez bien, vu que mon métier me passionne toujours autant. Pas non plus la flemme de lire, de voir ou d’écouter de belles choses. Mais une flemme mordante, terrible, indiscutable et époustourifiante, de replonger dans cette routine inamovible, avec passages obligatoires et cases à cocher, resservie pour la millième fois par les paresseux croque-morts de not’ si belle société médiatocpubpubpub à nous qu’on a. J’en peux plus de « La rentrée », des « cartables trop lourds » et du « prix des fournitures scolaires ». La fameuse « rentrée littéraire », qui a pointé son nez dès le 15 août dans les journaux (Dieu, quel marigot sans esprit ni idées que le journalisme français actuel !) me casse les pieds, et ce de façon fatale pour les litterreux à la mode. Hier, je regardais – par hasard et par malchance, je vous prie de me croire – les wagons de l’Orient Express affrété par Truc Saint-Chose pour sa « pré-ouverture » littérationnaire de saison (un machin genre « lire dans les bois », ou « sous les racines des arbres », ou je ne sais quoi), et j’ai senti monter au plus haut – un bon 998 sur mon échelle de Catastrophée – une immense et rédhibitoire lassitude. C’était encore les mêmes trombines pas marrantes d’assermentés « j’en suis », assis sur les banquettes molletonnées du train, en une galerie jamais renouvelée d’ineptes contents d’eux – ceci dit, même dans la littérature-caviar, on sent pointer une petite lassitude derrière les sourires de circonstance. La routine lasserait-elle même ceux qui en vivent ? Faut croire…

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Y’a pas d’souci, m’dame…

Pardon de poster si peu souvent, mais honnêtement, tout est tellement désespérant, ces temps-ci, des guerres fanatico-religio-tribales fratricides des uns jusqu’aux complots d’espionnage universel des autres, des forêts qui brûlent ou des fleuves qui débordent jusqu’aux cœurs des salades industrielles blanchis à coup de désherbant pour le gogo qui aime la laitue jaune à bas prix, des médicaments tueurs jusqu’à l’impossibilité, ici, de mettre fin à la pollution des pesticides, enfin bref des promesses non tenues de dirigeants retors, compromis ou simplement bêtes comme leurs pieds pendant l’inexorable avancée de l’appauvrissement de tous, intellectuel comme financier, pour le bonheur de quelques uns, que les bras m’en tombent régulièrement.

Mais « y’a pas d’souci », comme je l’entends dire de plus en plus souvent – et cette expression moche et passe-partout m’est vraiment devenue aussi pénible que les 200 000 « voilà » qui parsèment désormais obligatoirement tous les blablas.

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Anno 2013

Anno 1404, vue du port d’un joueur

En France, le gouvernement n’a pas augmenté les salaires, mais a trouvé bon d’augmenter taxes et impôts – au point que nous venons de repasser, sur ces questions, devant la Suède (qui elle, n’est pas en crise). En conséquence, la perte de l’outil de travail s’accélère, la consommation baisse, le soin est menacé, et m’est avis que les recettes des impôts vont diminuer. Je salue donc ce souci d’harmonisation européenne extrêmement ambitieux qui fait que le gouvernement découvre (avec surprise) que la crise s’aggrave chez nous, et fait que l’Allemagne découvre (avec surprise) ce que Roosevelt avait compris en son temps, et que tous les économistes de qualité (bis) prédisent depuis 2008, soit :

Quand partenaire économique de toi perdre ses industries et ses consommateurs, toi plus pouvoir vendre à lui tes machins, et toi commencer à te ronger les ongles. (Ça bête, hein ? Bah voui.)

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