Compte de Noël

As-tu remarqué, Petit Padawan ? Ici, tout, désormais, n’est plus que comptes rendus : des manifestations (42 lions selon les manifestants, 2 souris selon la police) aux lois (le 75eme amendement sur l’interdiction du port de sabots verts phosphorescents a été voté dans la nuit par 142 députés présents contre 25, les 120 autres ayant préféré roupiller, les lâches), des festivités (la 17eme Fête des Nuisances Sonores s’est déroulée avec succès hier soir à Tourgnac-sur-Beuzolles, en présence de 3 conseillers aux Nuisances Exceptionnelles venus de Paris et de plus de 2000 Nuiseurs ravis) aux enterrements (1247 chefs d’Etat se sont rendus aux funérailles du regretté Président d’Austrasie, avant que la moitié d’entre eux ne soit ensuite parachutée sobrement sur le site des funérailles du réalisateur Moldave des 12 films les plus regardés de la Terre, et l’autre sur le site de celles du Prix Cassé Nobel 1956).

Quoi ? J’ai pas bien retenu ? Si, si, je t’assure, je note tout, faut bien ! Déjà, je note les codes chiffrés que je dois employer pour ouvrir les différents services informatiques dont j’ai besoin (j’en suis à 408, à peu près, j’entame le deuxième volume dès la semaine prochaine). Ensuite, je tente de retenir les chiffres de tous les codes qui me permettent de rentrer chez moi, d’appeler mes copains ou d’acheter de quoi bouffer. Alors je sais de quoi je cause, hein. J’ai des antisèches partout.

À Nowell (te rends-tu compte que nous en sommes à la somme de 2013 Nowells d’affilée ? Quel succès !), je noterai le nombre de grèves des transports, que je souhaite nombreuses comme chaque année, puis, le 31 décembre la durée des embouteillages et des feux de bagnoles, que j’espère denses et brillants – ainsi que celui des confettis lancés, mais ça c’est accessoire, c’est juste pour le fun. Ensuite je noterai avec tristesse que les soldes n’auront attiré que 10% des 25% des 40% de ceusses que les impôts n’auront pas complètement ratissés, puis je noterai avec joie le nombre de kilos de graisse saturée que les gens devront perdre pour partir en vacances, ce juste après avoir fait mes comptes pour les impôts de l’an prochain.

C’est comme ça, mon vieux. C’est super-excitant, le monde, aujourd’hui. Tout le monde compte tout, partout, tout le temps. Même les trillions de méga-billions de bonbons écrasés virtuellement dans les jeux. Plus il y a de zéros derrière les bâtons, mieux c’est. Si tu ne le fais pas t’es largué, t’es plus au courant, tu ne sais plus rien. Car le chiffre est tout : grâce à lui, on se félicite chaleureusement des déficits en milliards de dollars, on commémore les guerres (en comptant les morts), on célèbre les acteurs (en citant leurs mensurations et leurs tarifs), les œuvres (en comptant les millions qu’elles valent), on glorifie les artistes et les commerciaux (en comptant à combien de gens ils ont vendu leurs trucs), et on participe au sport (en comptant les millions d’euros, les buts, les défections, les dopés, les entourloupes, les détournements, les médecins maudits, les spectateurs, les accidents, etc.).

Tu as compris, donc : pour compter un tant soit peu dans ce monde égalitaire, tu dois d’abord savoir compter. Non plus sur toi, ni sur les autres, ni sur l’intelligence collective ou l’élan créatif, non non, juste compter, compter sans arrêt, absolument tout et quasiment toujours n’importe quoi. Après, quand tu as bien compté toute ta vie, on te met dans un hosto et tu rentres toi-même dans les comptes (qui augmentent, donc c’est super, ça prouve que ça marche bien) des gens atteints de démence. Et enfin, tu rentres dans les grands cahiers comptables de l’éternité – là, ça ne compte plus des masses, ce qui est un comble, tu avoueras, mais l’éternité n’est pas super bien faite hélas, vu qu’on n’a pas encore calculé sa durée avec précision.

Voilà. Sur ce, je te laisse, je vais compter les petits pois de mon 19345eme déjeuner. Je m’en réjouis d’avance.

7 réponses

  1. Pour quelqu’un qui ne s’en laisse pas compter, tu nous sors un conte fort divertissant, un petit billet incisif qui déchiffre les plans comptables. Comme disait Artois à son cousin Orléans « Les bons comtes font les bons amis » Allons Vendée et foutons la pagaille dans les esprits.Tu t’es faite une religion dont tu es modeste et ironique prêtresse. Tu mérites de t’en tirer à bon compte, ton éternité se passera dans un paradis…fiscal où tu seras dispensée de compter. En attendant, nous comptons sur toi pour d’ironiques grincements de dents. Continue de décoder les Enigmas qui prolifèrent.

    1. :)
      Merci de ton indulgence, ô Patrocle. Hier, en regardant la Une du monde, j’ai vu tellement de chiffres que les bras m’en sont tombés. Nombre de soldats déployés en Afrique, nombre de civils tués, nombre de chefs d’État aux funérailles de Mandela, nombre de morts en Irak, pourcentages de croissance, de mauvais en maths, de postes créés par Peillon, de manifestants ukrainiens, de manifestants républicains, etc.
      J’mélange tout. :D

  2. Le système est en effet conçu pour nous plonger dans des actes déments. C’est ce que m’avait dit Finkielkraut un jour, ils veulent que nous devenions fous. C’est ce qui est en train de nous arriver. Enfin, ce qui menace de nous arriver.
    Nous avons de beaux restes, à commencer par l’humour. Mais quoi qu’on dise, ça ne fait pas tout.
    Courage.

    1. La paradoxe, c’est que c’est eux qui sont devenus complètement zinzins, ce qu’on finit tous par comprendre… :)
      Tout ça va se casser la gueule, ce sera le seul résultat réel.

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