Du bon usage du Rötring

Dessin de Mark-Edward Geyer

Un bon dessinateur travaille avant tout à la plume ou au pinceau (avec les deux, en fait), mais le Rötring ™ reste un outil intéressant pour les tracés des seconds plans, genre voûtes de la Sixtine derrière l’un des profs fouineurs de Dan Brown, ou rues de Chicago avec briques et escaliers d’incendie derrière un enquêteur alcoolo déprimé, ou murailles de château-fort derrière un chevalier Teuftonique, ou… Bon, z’avez compris. Au premier plan d’un dessin, donc, le trait est gras et travaillé en pleins et déliés, et au second, on prend plume ou Rhötringhk, plus fins, pour les décors. J’utilise très peu ce dernier, vous comprendrez pourquoi ci-dessous. C’est avant tout un outil technique dévolu au tirage de traits d’architecture, aux dessins sur calque. M’enfin, de temps à autre, j’ai besoin de lui pour certains machins spécifiques. Donc je l’attrape dans mon pot, et c’est là que les problèmes commencent. Je t’explique.

Joyeusement, tu prends le Rötrinnnrgk, tu le secoues un peu et tu l’essaies sur une feuille blanche.

Rien.

Tu dévisses le Raütrink (trois parties, plus le corps et le bouchon), et tu t’aperçois que depuis un mois que tu ne l’a pas utilisée, l’encre a séché dans le réservoir dog, se divisant en MILLIONS de paillettes noires.

Tu soupires. Il faut nettoyer le réservoir et la tige. Direction cuisine, blouse obligatoire, sopalin en masse, savon, évier. Comme tu es flemmard(e), tu te dis que dix minutes sous l’eau vive suffiront, puis tu essuies le tout, tu nettoies l’évier plein de gouttes grisailles, tu remplis d’encre fraîche le réservoir apparemment propre, tu remontes la coque autour, et tu repars l’essayer sur ta feuille vierge.

Rien.

Tu secoues le Raustring en grommelant. Toujours rien. Tu t’aperçois alors que la bille qui permet la circulation de l’encre ne fait pas clonk-clonk dans la bestiole. Ce qui veut dire qu’elle est encore scotchée par un tas d’encre sèche sur une paroi. Ce qui signifie que la tige, petit canal d’un millimètre, est encore bouchée à 100 contre 1.

Tu repars à la cuisine. Cette fois, tu vas faire tremper l’embout et la tige dans un récipient rempli d’eau tiède savonneuse. Au moins un quart d’heure, te dis-tu, stoïque en contemplant tes doigts noircis. OK. Un quart d’heure plus tard, tu remontes le bouzin et tu repars vers ta table de travail pour retenter ta chance. Cette fois, tu secoues le Rûtraingue avant. Le petit clic-clic que tu entends te rassure : la bille est décollée de la paroi, enfin. Tu traces un trait sur la feuille vierche.

Rien.

Tu ronchonnes que les Rommeltring sont de la pure daube, puis tu repars à la kitchen. Cette fois, tu vas tenter le bain d’eau tiède avec une goutte de vinaigre blanc (faut c’qu’y faut). Dix minutes d’attente plus tard, tu remontes tout. Secouage : le clic-clic de la bille est devenu un clonk-clonk bien dense. Te voilà rassuré(e). Feuille vierge. Tu secoues légèrement.

Schplorf.

Tache d’encre grisâtre. Bon signe.

Tu commences à tracer. L’encre n’est pas noire, mais grise (il reste de l’eau dans la tige). Il va donc te falloir tracer quatorze kilomètres de gribouillis sur ta feuille vierge pour faire descendre l’encre bien noire sur le papier, mais ça fonctionne. Il serait grand temps : tout ceci t’a pris une heure et demie.

Enfin, l’encre est là. Tu fais encore un ou deux essais, puis tu commences l’encrage de ta planche. Tu es prêt. Tu respires à fond. Tu dévisses le capuchon. Tu cales la pointe sur ta chapelle Sixtine.

Schplorf.

Le Rötring, devenu incontinent, vient de te lâcher une super bouse bien noire.

Tu hurles avant de te ruer sur un buvard.

Aime ton ennemi. J’adore les Rötring, j’crois.

18 réponses

  1. Yapasàdire, yadusouci à te faire,les objets te poursuivent de leurs maléfices. Tu cours trop de lièvre à la fois, tu ne prends pas assez de temps, tu agis trop rapido sans prévoir des moments de rockingchair ce qui te rend le rötring cher. Tu as compris pas besoin de te faire un dessin, ce commentaire avait pour seul dessein de t’aider….Allez souris, grise, avec un
    bon apéro…Le graphisme de Geyer mérite de s’arrèter et ne pas tirer un trait dessus. Voilà, maintenant que j’ai découvert une nouvelle interjection , je l’utilise…yapasdesouci, çà passera!

  2. Merci Sophie, ce charmant mode d’emploi m’a beaucoup amusée ; et du coup, je comprends mieux les traces d’encre noire sur les mains de certain(e)s…

    1. :D
      Bon, moi, ça tient encore, mais j’ai pris tellement l’habitude, avec trente ans de pratique et de « ronchonnages »…

  3. Pourquoi donc, mais pourquoi donc, ô grands dieux, Christine Lagarde est-elle toujours peinte en marron quand on la sort ?
    La peint-on chaque matin ? La passe-t-on à l’essence de térébenthine chaque soir ?
    C’est pas une vie, moi j’dis.

  4. La natation synchronisée se nage en eau transparente, la politique suppose de brasser bien du purin, tapi dans les affaires. Dame Lallouette a t-elle plumé le contribuable ou s’est -elle fait plumer le bec? J’en baille aux corneilles….

  5. Mwarf. Le bon mot du jour est signé Gérard Longuet :
    « Le gouvernement fait voter une loi sur la transparence. Il y a dignité, probité, impartialité. Pour la dignité, on a Strauss-Kahn, pour la probité, on a Cahuzac. Qui vont-ils nous proposer pour l’impartialité ? »

    (J’espère qu’on ne songe pas à Tapie en 3.) :-)

  6. Votre évocation du Rotring m’a rappelé des souvenirs de dessins industriels. Une année à essayer de visualiser des objets mécaniques et de les rendre sur le papier. Je me souviens de la grande problématique du croisement de deux tuyaux : comment restituer cette magnifique rencontre ?
    Autant vous dire que je n’ai pas tenu longtemps…
    Mais il est des usages, effectivement, bien plus délicat de ce cher rotring (néanmoins, je n’ai pas comme vous, la moindre aptitude en dessin. Je me contente de regarder).

    1. Vous savez, cher Philippe, que savoir regarder est une aptitude rare ? Vous savez le faire à la perfection, quand vous analysez Caravage ou un autre maître.
      Mais oui, sinon, le Rötring fut d’abord créé pour tracer les rencontres des tuyaux – dommage que le leur se bouche avec autant de constance, hahaha !

  7. Aujourd’hui, j’ai fait un truc de ouf : j’ai bronzé au soleil avec un bouquin. C’est un truc tellement rare (le soleil, et bibi en train de bronzer et de lire) que je me dois de vous le dire.
    (Sinon, rien fichu. Ça fait du bien, de ne rien faire, bon sang.)

  8. Et bien, tu vois qu’il te profite tes fastidieux cours d’alphabétisation, ne cache pas ton bronzage avec un habit qui nie, pour une fois que c’est toi qui va être colorée. Aurais tu une poussée de sagesse qui t’incite à être moins sur les dents? :) :)

    1. Ben ouais. Et un gros déficit de vitamine D, hahaha ! nan, chus fatiguée, j’avoue, énormément travaillé cette année. Pour l’instant, je ne peux rien montrer (je parle de mon travail), mais dès que, je le ferai.

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