Edouard Detaille (1848-1912)

Charge de hussards, étude, 1891

Jean Baptiste Edouard Detaille avait 34 ans de plus que Newell Convers Wyeth, dont j’ai déjà parlé ici. Je les rapproche dans ce post car, bien que l’un ait été un peintre officiel et l’autre un illustrateur de génie, leurs univers se croisent à la faveur de leur grande virtuosité, et d’une certaine parenté graphique. La différence réside dans les choix qu’ils ont faits. Wyeth, qui voulait être peintre, a raconté l’histoire rêvée de son pays aux enfants de son temps. Né dans une famille de militaires, militaire lui-même durant la guerre de 70, Detaille est devenu un peintre d’histoire académique célébré par ses contemporains. Même issues de son atelier, ses œuvres, inspirées d’événements souvent vécus, sont les ancêtres des photos des grands reporters de guerre d’aujourd’hui.

Sentinelle à cheval, 1875

Spécialisé dans les reconstitutions épiques, il dessinait notamment remarquablement les scènes équestres et les charges héroïques. J’ai vu récemment deux de ses tableaux au Musée de l’Armée lors de l’exposition « Avec armes et bagages… dans un mouchoir de poche », et j’ai été fascinée par leurs détails frôlant l’hyper-réalisme. Inconsciemment, ma main se tendait vers les fusils aux crosses brillantes, les pommeaux des épées, les boutons des uniformes ou les mors des chevaux pour les saisir, tant ils semblaient jaillir du plan des toiles…

« Vive l’Empereur », 1891 – l’étude du début est liée à cette toile

Chez ces deux artistes, j’admire aussi ce désir d’extraire les sujets qu’ils peignent des conventions de cadrage classique. Rien ne les rebutait, ni les scènes de combat, ni les scènes de groupes ; on sent chez eux un travail de tous les instants pour maîtriser de façon absolue le dessin, la perspective, l’ombre et la lumière, la couleur. Rien n’est laissé au hasard : un visage de second plan est toujours suggéré d’un coup de pinceau magistral, elliptique, laissant sa part à l’imagination du spectateur. C’est, paradoxalement, dans ces seconds plans qu’on voit tout le talent de ces artistes, et qu’on décèle ce que sera, en contrepoint de leur art si précis, toute « l’abstraction » impressionniste née en leur temps.

Ci-dessus : détail d’une toile de Detaille (« La bataille de Rezonville », 1870), et ci-dessous, une charge peinte par N.C. Wyeth…

47 réponses

  1. En peinture comme en littérature, la guerre demeure un sujet qui aura finalement tiré l’Art vers le haut, vers l’Histoire.
    Je ne connaissais pas ce peintre , ni le musée de l’Armée, d’ailleurs. Ton billet donne envie d’approfondir

    1. Hello Solko ! :)
      Tout à fait d’accord…
      Je ne connaissais pas bien le travail de Detaille, moi non plus. Il a fallu que je voie ces deux toiles pour tomber en admiration devant la force et la finesse de son pinceau.

  2. Ce peintre maitrisait son art , il peignait de taille et d’estoc . Tu as raison, tout l’espace est envahi mais chargé d’expressivité. La sauvagerie de l’assaut, la détermination des hommes sont soulignés par la peur des chevaux éperonnés dans un galop fou. J’aime bien l’élan, moins héroïque du tableau de NC Wyeth. Sa charge semble sortir d’un lieu paisible, elle prend toute sa force avec cet adolescent qui emmène cette troupe d’hommes murs, porté par sa monture lancée dans une course hallucinée. Chez l’un et l’autre peintre, les perspectives sont expressives quoique tristes….Ces hordes sauvages de viandes sur pieds galopant pour un rendez vous avec la mort font frissonner. Ils seront couverts de sang sur lequel on jettera un fallacieux linceul de gloire, ils y vont enragés comme on leur en a donné l’ordre et comme ils l’ont appris. Savent ils comment faire quand le sang saigne et inonde la terre?
    Nos armées ramassèrent bien des vestes , bien des revers. Il semblerait que l’art de la guerre s’enseigne mieux aux beaux arts qu’à l’école militaire.
    icon_eek

  3. Vu le Robin des Bois de Ridley Scott il y a quelques jours à la télé. Grand réalisme des scènes de bataille. Ces deux peintres restituent bien la fascination, donc la beauté et l’horreur de la guerre. La toile du soldat à terre est d’une grande finesse.

    1. Ah, j’ai aussi fait le rapprochement ! :D Malgré ses défauts, j’adore cette version de Robin des Bois et je l’avais achetée, notamment, ça va te faire rire, pour le générique final que je trouve splendide (j’ai une passion pour les beaux génériques, tu sais bien)…
      Le soldat à terre est un petit morceau d’une grande oeuvre vouée autrefois à être montrée en panorama (« La bataille de Rezonville »)
      voir ici (clique, les liens sont actifs, désormais):
      http://favartmusmandet.blogspot.fr/2012/01/la-bataille-de-rezonville.html

      (PS : je remets les titres des oeuvres sous les vues, pour ceusses qui ne passent pas leurs souris sur les photos.)

  4. Ouah, qu’il est de plus en plus beau ton site. C’est riche, c’est chaud, on en prend plein les yeux. Et tes carrés, ça donne envie d’aller chez Hermes :-) Bises

    1. Ouah, Bernard, te voilà !
      Merci ! T’as vu, je fais des efforts d’enfer, hein ? :D
      Biz aussi !
      (Le premier comm’ est modéré, mais pas les suivants, je le précise !)

    2. PS : Merci pour le lien chez Saga !
      (Dis donc, qu’est-ce qu’il a comme trolls casse-bonbons, en ce moment ! Que des moralistes, des pisse-froids et des hargneuses. C’est très drôle.)

  5. Il a raison , Bernard, visiter ton site est un plaisir esthète….Dieu que la guerre est jolie …à 100 pur sang, sur un cheval-et, embelli à grands coups de couteaux, les sabretaches faites aux pinceaux (en poils de cheval)….Le feu de l’action emporte.Vive le mouvement…Qu’importe les corps en charpie, qu’importe la mitraille si elle peinte par Detaille…Ou un Wieth fait bien fait…..Je rigole (de sang) mais cela donne à penser….Homme, guerrier, t’es beau, c’est pourquoi tes conquises t’adorent….Pour peindre les effusions avec la soldatesque, mieux vaut éviter le violet…

    Qui est ce Saga qui attire les trolls , avec la cuvette grenobloise gelée, je me sens pisse-froid, j’irais bien faire un tour icon_cool

  6. Ça va, Saga, j’ai trouvé et perdu l’envie de pisser! Tes commentaires de souricette équanime sont droles. « N’avoir jamais couché par flemme, dénote un véritable art de vivre »

  7. S’il s’agit de générique, faut voir celui du dernier James Bond : il est splendide… nom de Dieu, ça m’a rappelé certains vieux génériques des années 50…
    Detaille, j’ suis quand même moins chaud que pour Wyeth… en dépit de son habileté, y a des choses qui m’embêtent… bref… comme illustrateur, je dis pas, mais voir tous ces militaires sans arrêt, j’avoue que ça me fait suer…
    Au fond, je ne garderais que les arrière-plans chez lui… :D
    Wyeth, il y a une poésie…une palette dorée pas si éloignée de l’autre illustrateur à la mode : Hopper. (Illustrateur n’est pas une insulte dans ma bouche). Hopper dont les imbéciles de la télé nous répètent qu’on est en train de le découvrir alors qu’il est utilisé systématiquement pour la moitié des couv. de romans qui sortent en librairie… bref… (ceci dit, c’est une plaie ce recyclage, surtout pour les illustrateurs qui travaillent aujourd’hui…)

    Et zou !…

    1. Ah non moi j’aime bien, cette folie de précision… :)
      Bon, oui, militaire, épique, mais le peintre a su aussi dénoncer toutes ces boucheries organisées. N’empêche, j’ai redécouvert à l’occase de cette expo que le 19e siècle, que j’avais vu jeune fille comme le siècle du romantisme (ou du début de la SF avec Frankenstein) était fondamentaliste au possible (et fondamentalement con, donc). Les hommes devaient être militaires, on les y entraînait dès l’école. Et les femmes, bah, grenouilles de bénitier corsetées de partout, juste bonnes à pondre des petits soldats (ou d’autres grenouilles laitières) et à tenir la maison pendant qu’papa partait en campagne. Fichue époque, pleine de guerres et de curé(e)s.

      Pas vu, le dernier Bond, mais on m’a dit, pour le générique. Déjà, celui de « Casino Royale » m’avait époustouflée… :)

    2. Pour Hopper, ça ne m’étonne guère que la presse, inculte comme elle est, pense qu’on l’a attendue pour le découvrir… Mon père me l’avait fait connaître dans les années soixante-dix, époque où il inspirait pas mal d’artistes undergrounds français… Le paradoxe, c’est qu’aux US, après avoir été starifié, il est maintenant un peu oublié dans les réserves de musées, d’après ce qu’on m’a dit.
      (Mais sinon, je préfère aussi Wyeth à Detaille, évidemment.)

  8. Globalement un consensus se dégage , nous n’allons pas nous battre, ni faire sécession! Les deux peintres sont deux remarquables peintres animaliers. Ils achèvent bien les chevaux… Je trouve que l’étude de la charge de hussards de Detaille et la charge de Wieth ont en commun de sortir de l’arrière-plan dans un halo de lumière…Il y a une continuité entre les couleurs d’arrière plan entre celui de cette dernière et celui du uhlan mort.
    Je me suis demandé si les tons choisis ocre, vert tendre, lumière n’avaient pas pour objectif de masquer la violence et de magnifier l’héroïsme de l’action. Je suppose qu’en aquarelle ce serait moins fort ,encore que l’eau bue éclate …Mais, je ne m’y entends guère dans les canons picturaux, je ne voudrais faire le boulet
    icon_redface

    1. En fait, Wyeth est plus elliptique que Detaille, ce qui le rend aussi plus léger… Et il n’avait pas le désir d’être réaliste, il suggère donc beaucoup plus.
      Enfin bref. Tu es une mine, Patrick. :)

    1. Normalement, ça roule aussi pour ce fichu Explorer.
      J’espère que c’est ok pour tous. Les mises à jour de WP et de ses plugins sont parfois très casse-gueule, on le sait.
      En revanche, j’ai l’impression que le nouveau WP active un peu la navigation sur OVH. C’est peut-être mieux, on verra.

    1. Pour les polices, pas vu, faut que je vérifie ça, merci. Je ne sais pas si je vais retrouver où c’est, ni avoir le courage de tout refaire, pffff….

    1. Coucou Claire ! :)
      Non, normalement c’est revenu à la normale, question de cache à vider sur la navigateur, juste (j’ai remis l’ancienne maquette et vidé tous mes caches dans le site). Mais certains détails ont disparu. Je corrige. :)

  9. Il faut, parfois, s’entêter pour mettre un post. Le facteur doit croire qu’il y a une mine à bord…il va envoyer une brigade démineur , mille sabords!

    1. Oui. C’est toujours OVH hélas. Leurs problèmes de serveurs mutualisés ne s’arrangent pas du tout. Il va bien falloir que je migre sur un autre serveur, mais c’est un tel travail que les bras m’en tombent d’avance…

  10. Oui, examiner toujours le moindre Détaille…

    Cette précision, cet art photographique avant la lettre (le gros plan, ou le plan « américain ») montrent les batailles dans leur acharnement, leur lutte pour la vie – si l’on ose – et leur carillon funèbre à la fin.

    J’ai pensé quelque part à Grosz (Detaille, précurseur sans doute ?)…

    Belle expo sur blog !

    1. Oui, on pressent aussi le cinéma et ses travellings d’ailleurs… Comme les panoramas de l’époque, dont les affiches préfigurent déjà ce que sera l’art de l’affiche de ciné plus tard…
      .

    1. Merci Dom’ ! :)
      Je ne connais pas super bien Grosz, mais c’était un surréaliste absolu, là où Detaille était quand même un peintre ultra classique, réaliste, et hors des différents mouvements modernistes de son temps… Je ne leur vois pas de points communs, perso.

  11. Hé hé, me revoilou, ouh ouh! Voilà donc pourquoi je trouvai porte close ces derniers jours. En plus maintenant, je pourrai voir quand tu publie parce que tu remontera en tête de liste au lieu d’être toujours stationnaire tout au bout. Il est bien ton nouveau blog :-)

    1. :) Y’a un paquet de gens qui ont dû se paumer comme toi, ceci-dit, car mes stats ont baissé de moitié depuis la fermeture de l’ancienne adresse. J’avais complètement oublié de le signaler, je suis nulle.

  12. Ça rame toujours chez OVH, en tout cas. Infernal de poster un comm’. Ça n’aide pas.
    Les potes que j’ai vus ce soir m’ont quand même déconseillé de migrer, me disant qu’ailleurs c’était pas mieux, même chez o2switch.
    Sais pas quoi faire.

    Vais attendre le printemps, j’crois.

  13. A force d’avoir consommer des forêts de jeunes sapins pour des Noëls de pacotille, on se retrouve avec l’étron et des messages de pets malodorants…. icon_sad

  14. De la part d’un arrière-arrière petit neveu d’Edouard Detaille, merci de votre intérêt envers ce peintre aujourd’hui oublié malgré trois livres qui lui sont consacrés (Chanlaine en 1962, Humbert en 1979 et Robichon en 2007), le Musée de l’Armée et son célèbre Rêve au Musée d’Orsay, Edouard Detaille est mort le 24 décembre 1912 et vous rappelez son oeuvre le 10 décembre 2012, merci aux gens qui apportent leur commentaire et rappellent ainsi qu’il est bon de regarder encore ses tableaux. Enfant, ils m’ont fait aimer l’histoire et en même temps aimer la paix plus que la guerre tant il en montre ses horreurs autant que son héroïsme, aujourd’hui soyons héroïque dans la paix.

    1. Grand merci à vous d’être passé par ici et d’avoir laissé ce chaleureux commentaire. :) Les deux magnifiques tableaux de votre arrière-arrière grand oncle que j’ai pu voir lors de cette exposition au musée de l’Armée m’ont absolument épatée.
      Je ne crois pas que de tels artistes puissent être oubliés ; ils sont malheureusement parfois victimes des modes, ou de l’ignorance générale, mais il suffit d’une seule exposition pour les remettre en lumière, et leur talent fait le reste. Ce jour-là, au début de ce mois de décembre 2012, je peux vous assurer que nous avons été une bonne vingtaine de dessinateurs d’Hermès à admirer avec un sourire émerveillé le travail de votre aïeul… Sans l’avoir fait exprès, je suis heureuse de lui avoir rendu ce tout petit hommage pour le centenaire de sa mort.
      Bien à vous ! :)

Laisser un commentaire