Harold Foster (1892 -1982)

Il y a dans les dessins d’Harold Foster des cadrages et un sens de l’espace qui m’ont toujours stupéfiée. Outre ses encres somptueuses (je recommande d’acheter ses œuvres en noir et blanc plutôt que les versions colorisées), l’homme était un expert en dessin animalier et en anatomie (il a dessiné quatre aventures de Tarzan durant les années 1930 avant que Burne – prononcez « Beurn » – Hogarth, autre grand dessinateur, lui succède), un visionnaire raffiné et un sacré conteur, puisqu’il maîtrisa à la perfection le déroulement de l’épopée de Valiant, son jeune prince de Thulé devenu chevalier de la Table Ronde.

Valiant ne ressemble pas aux héros enfantins de l’époque. En le faisant naître en 1937, Foster ouvre la bande dessinée à l’aventure. Tout au long de sa carrière, depuis le moment où il parvient à devenir l’écuyer de Gauvain jusqu’à l’époque où, chevalier accompli, Valiant défend une vision du monde faite d’honneur, de courage et d’intelligence, on le voit évoluer, douter, se reprendre, et surtout constamment réfléchir au sens des choses qu’il accomplit. Ce n’est pas le héros mièvre du film d’Hathaway avec un Robert Wagner ridicule sous sa perruque « Mireille Mathieu » (Foster a désavoué cette version de 1953, qu’il jugeait « puérile »), mais un personnage complexe, non exempt de défauts, rusé, impitoyable quand il le faut, et pourvu d’un sens de l’humour très particulier.

Bien sûr, la vision que Foster donne du monde du roi Arthur est complètement anachronique. L’histoire se situe au Vème siècle après J.C., sur les ruines de l’Empire Romain, au début des grandes invasions qui vont déferler sur l’Europe, Attila et ses Huns en tête. Dans un univers humaniste où l’on peut retrouver, outre l’inspiration des romans de Chrétien de Troyes et d’autres poètes du temps, toute la mythologie chevaleresque du Moyen-âge classique, Foster s’amuse à faire voyager ses héros d’un bout à l’autre de la terre, s’autorisant sciemment le mélange des époques et des genres. On complote, on navigue, on tombe amoureux, on découvre des peuples inconnus, on rencontre les derniers gardiens Romains du Mur d’Hadrien, on se pochetronne entre copains, on se bat, on bâtit de miraculeux châteaux, mais dans tous les cas, on lutte contre la barbarie, souvent symbolisée par des hordes de guerriers hirsutes et cupides, dirigées par des usurpateurs  sadiques.

Foster ayant commencé son œuvre juste avant la guerre, on comprend vite que les Huns (mot que l’argot américain utilise depuis 14-18 pour désigner les Allemands) sont une représentation des nazis. Mais la série, qu’il dessinera jusqu’en 1971, et qui s’étend donc sur trente ans, ne perd pas son souffle à la libération. Foster fait vieillir son héros et le marie au cours de l’année 1946. Vers la fin, Val, âgé d’environ quarante ans, est père de quatre enfants, son fils aîné étant plus vieux qu’il ne l’était lui-même au début de ses aventures. Prince Valiant est donc l’un des premiers héros de la BD moderne, en quelque sorte un prédécesseur de Blueberry, et malgré un certain cynisme, sans le côté « looser magnifique » des héros nés dans les années 1970.

L’autre point fort de la série est que, comme dans la vie, l’entourage du prince change : certains amis disparaissent pour parfois reparaître quelques années plus tard, et les faits qui se déroulent au début de l’histoire provoquent des conséquences avec le temps. Il s’agit donc d’un véritable feuilleton (au sens noble du terme).

Les aventures du Prince ont connu un succès rapide. Traduite dans toutes les langues, la série a été publiée dans le monde entier. Sur le plan technique, une planche demandait à Foster près de 55 heures de dessin. Il écrivait d’abord le scénario comme un roman, puis il le réduisait en script afin de l’illustrer. Les textes des légendes étaient réalisés par un lettreur, et ce n’est que vers la fin de sa vie que Foster employa des assistants pour s’occuper des fonds et de la mise en couleur. En tout, cette œuvre gigantesque compte, à l’aube des années 1970, plus de 1720 planches et 14 000 images.

Enfin, pour en revenir à ce miraculeux sens de l’espace qui lui permettait de dessiner de merveilleux paysages, des armées entières et des bâtiments extraordinaires sur quelques centimètres carrés de papier, Foster, qui s’installa avant sa carrière de dessinateur en Ontario (où il fut, à ses moments perdus, chercheur d’or) avoua plus tard : « J’aime la chasse, la pêche, et tout dans la nature – les bois, les chutes d’eau, les prairies, la silhouette d’une montagne. Finalement, tout cela aura abouti dans Prince Valiant ».

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