Jeff Beal, Rome et Cold Stone, une affaire de vieux…

En ce moment, je me passionne pour une série appelée « Jesse Stone », diffusée (en partie dans le désordre, comme d’hab’) depuis un mois sur Paris Première – oui, la chaîne des vieux gays parisiens fanas d’Au Théâtre Ce Soir. Le héros de Jesse Stone (Tom Selleck) n’est pas spécialement gay : flic sexagénaire alcoolo et dépressif accompagné d’un chien tout aussi dépressif, il vit dans une ville très jolie mais déprimante appelée Paradise (tout a été tourné à Halifax, au Canada). Ses adjoints sont un jeune type bizarre et une quinqua déprimée (Kohl Sudduth et Kathy Baker), et ses meilleurs amis un autre flic dépressif (Stephen McHattie) et un ancien flic alcoolo dépressif devenu psy déprimé (William Devane). Son ex-femme est une empoisonneuse de première qui lui casse le moral en l’appelant durant des heures tous les soirs pour lui raconter ses états d’âme et ses coucheries. Si elles ne se font pas buter par hasard, ses nouvelles maîtresses sont des enquiquineuses solitaires à fort caractère (mais pas dépressives). Les méchants qu’il traque sont particulièrement originaux (tout en étant quelquefois gays, quelquefois alcoolos, et quelquefois dépressifs).

La moitié des histoires a été adaptée de « Cold Stone », titre générique d’une série de romans écrits par Robert B. Parker (probablement alcoolo, mais je me demande s’il n’était pas non plus dépressif. En tout cas, il n’était pas gay). Huit épisodes de 90 minutes ont été tournés entre février 2005 et mai 2012. Diffusés sur CBS, ils ont obtenu un beau succès et pas mal de récompenses, mais malgré une audience avoisinant les 13 millions de spectateurs lors de la diffusion du huitième épisode, la chaîne n’est pas certaine du tout de reconduire son contrat : en effet, après un sondage auprès de son public, elle s’est aperçue que Jesse Stone était, selon ses termes, une série surtout regardée par « des vieux ». (Ils n’ont pas spécifié si ces vieux étaient alcoolos ou dépressifs. Ou gays.)

Il est vrai qu’un vieux flic blasé vivant avec son chien dans une bourgade de bord de mer pleine de bourgeois étriqués, c’est pas très fun. Il est vrai aussi que l’image est particulièrement soignée, que les paysages sont à tomber, les enquêtes toutes plus que subtiles, et les relations entre les personnages ultra fouillées. Il n’y a pas beaucoup d’explosions, ou alors juste ce qu’il faut, et bien que la violence surgisse toujours de façon particulièrement brutale et absurde (comme dans la vraie vie finalement*), personne ne brandit de kalach pour buter tout le monde en hurlant des phrases à la con. On voit peu de scènes de cul gratuites et les hommes sont poilus (pas les femmes, je vous rassure) ; les dialogues, la plupart du temps très drôles, sont parfaitement pensés ; l’humour détaché qui survole constamment l’ensemble des épisodes est délectable. Ce n’est donc effectivement pas une série très « jeune d’esprit » au sens actuel du terme, surtout si on ajoute ses nombreuses références aux grands films noirs américains des années 1940.

Bon, bref. Je ne suis pas là pour râler sur le jeunisme, associé au crétinisme épilé et joyeux, qui gambade dans la caboche des directeurs de chaînes, mais parce que cette série très bien fichue m’a en outre permis de boucler un puzzle musical qui me titillait l’oreille depuis assez longtemps. J’avais noté la qualité de musiques de films comme Pollock (Ed Harris), ou de séries TV comme Monk, ou encore le générique superbe de Rome. La B.O. de Jesse Stone, particulièrement réussie, m’a incitée à fouiller le web, et j’ai découvert qu’un seul compositeur était à l’origine de toutes ces créations : Jeff Beal. J’aurais dû m’en douter : si on écoute le générique de Rome, on retrouve le son de ses autres œuvres, une façon particulière d’harmoniser les percussions, les cordes, et les instruments à vent, flûtes, clarinettes ou hautbois. Écouter entre autres les musiques de Monk, ou celles illustrant le film TV « The Passion of Ayn Rand » (1999), ouvre sur la dimension très jazz de Beal ; quant à « Cold Stone » – sorti en tirage limité, le CD a été très vite épuisé (il s’échange ces temps-ci sur Amazon à près de 300 $ !) – c’est une alliance merveilleuse de jazz, d’accents orientaux et de piano classique, d’où se dégage une paix ample et lumineuse, malgré la courte durée des morceaux (eh oui, c’est une B.O.).

Ce que j’aime par-dessus tout chez Beal, c’est son talent de mélodiste. Ed Harris doit aimer lui aussi, puisque qu’il a fait à nouveau appel à lui pour ornementer son dernier film, « Appaloosa » (2008). Il faut dire que là où les autres compositeurs tartinent leurs scores de cordes prétentieuses en bouchant pompeusement tous les trous, Beal cisèle, reprend, développe et affine. Mais vous allez me dire que c’est normal : né en 1963, c’est donc un vieux.

Pour visiter le site de Jeff Beal et écouter l’ensemble de son travail, cliquez ici.

Pour en savoir plus sur Jesse Stone, wiki est là (cliquez).

Pour en savoir plus sur Robert B. Parker, vive wiki aussi (ben oui, cliquez, bande de vioques).

 

* Sinon, non, je ne suis pas dépressive, ni alcoolo, merci. (Mais je fais des efforts considérables, croyez-le.) Je ne suis pas gay non plus : j’aime beaucoup les quinquas mâles à chiens dépressifs.

36 réponses

  1. Cool, merci Claire ! Comme j’ai toujours quelques petits pépins avec OVH, et que Yannick ne semblait pas réussir à avoir une bonne connexion, je m’fais du mouron… ;) (Mais m’sieur Songe a un mac, je crois, ah là là.)

    Sinon, j’adore la BO de « The passion of Ayn Rand », très jazz sixties automnal. C’est un genre de feu de bois virtuel…
    J’essaye de faire le lien direct, ensuite cliquez sur les morceaux pour les écouter :

    Voilà, c’est ici

  2. Très amusant ce billet ! Beaucoup d’humour ! Je ne connais pas cette série, je l’acheterai volontiers quand elle sortira en DVD (peut-être est-elle déjà sortie ?) icon_cool

  3. Salut Obni ! :) Merci. Oui, elle est sortie en partie, tu dois pouvoir trouver les DVD sur Amazon. (En revanche, je ne sais pas si ce sont des sorties françaises ou américaines, faut vérifier.)

  4. J’ai regardé un épisode de Jesse Stone ,dimanche soir, j’ai aimé le rythme lent, songeur ,elliptique, la musique qui étire ses phrases. Un moment propice avant l’arrivée de Morphée, je me suis endormi durant le second…..Pour résumer, un feuilleton agréable dans la lignée de Maigret , mais sans obligation apparente de résultat….Une ballade d’un chevalier blasé….Voilà qui apporte une pierre à ton moulin…Kameloot m’a fait marrer comme d’hab! icon_couic

    1. J’aime beaucoup la série avec Cremer. Pour moi, les deux univers n’ont rien à voir malgré tout. Je trouve Maigret très bavard (au sens analytique), très français donc, très plan-plan côté réalisation, moins poétique, moins subtil, mais bon, c’est moi ;)

  5. Bonjour Sophie- K
    :)
    Le plaisir est pour moi, et je me suis même permis un lien sur mon blog ! Quand à savoir si j’ai -déjà- plus de 52 ans c’est une autre histoire ;)
    (Mais non j’l’ai pas dit)

  6. Je suis d’accord, il y a ,dans la série maigret, une obligation de recherche rationnelle, dans Stone, l’énigme est le prétexte à une pérégrination aventureuse.

    PS: Désolé d’avoir évoqué ton chat. J’avais oublié son ultime fugue….La gaffe quoi, je mérite un coup de griffe!

    1. Pas grave, Patrocle, c’est la vie, et tu ne pouvais pas savoir. Le beau matou était si vieux que je le croyais immortel moi itou, parfois… ;)

  7. Bon. Je viens de voir l’émission d’Arte sur la mafia Goldman Sachs. Édifiant. Ces types sont définitivement les Aliens morts vivants d’Invasion Los Angeles, et ils veulent tous nous tuer. Faut trouver le moyen de les buter avant. (Je me demande d’ailleurs pourquoi les gouvernements ne sucrent pas leurs cafés de poisons violents indécelables, ne sabotent pas leurs bagnoles discrètement, bref ne les font pas disparaître mystérieusement. C’est bizarre, quand même. C’est faisable, pourtant.)

  8. Ah Monk ! Elle passe quand cette série que j’aille y faire un tour ? C’est beau chez toi, c’est classe. Par contre je ne sais pas comment m’inscrire pour avoir mon avatar et être abonnée à la newsletter si tu en as une, ce qui m’évitera de rater les publications et d’avoir plusieurs billets à lire à la file. Hu hu ! (Et sinon moi je regarde la série Fringe depuis quelques temps. Tu connais ?)

  9. Coucou ma Fredaime ! :) C’est super de te lire !
    Jesse Stone, ça passe sur Paris Première, le dimanche soir, mais c’est déjà la fin de la série. Vont peut-être le repasser en boucle, ceci dit.
    Pour l’inscription, pour le moment c’est pas au point (OVH est trop lent quand on poste en inscrit), et je manque arghement de temps pour arranger ça (même pas sûre que ce soit possible). Tu as les fils RSS en bas de la page, éventuellement (en même temps, j’écris en gros un billet par semaine, peux pas plus). La newsletter, je vais m’en occuper (je ne sais pas très bien comment on met ça en marche).
    icon_smile

    Fringe, je l’ai regardée en vrac. J’aime assez, mais ça ne m’accroche pas plus que ça non plus (peut-être parce que je l’ai regardée en vrac). J’avais mieux suivi la saison 1.

  10. « (D’autant que leurs chefs sont tous des quinquas moches, avec des coupes ridicules, des cravates nazes, des lunettes de comptables et des costards craignosses.) »
    Chuis bien d’accord! Comment ne peut-on virer ces épouvantails. mais d’où ils sortent ces crânes d’oeuf. Ce reportage est particulièrement révoltant . icon_humpf
    Ils vont mourir bientôt, mais ils nous auront pourri la vie depuis 50 ans!

  11. @ Zoué : Ouaip, ça sort des grandes écoles… C’est peut-être les grandes écoles qu’il faut faire péter. Sais pas.
    Je vais aller voir les autres Aliens, mais ça me déprime déjà…
    (Au fait, ton lien marche tout seul, héhé !)

  12. PS Zoé : Du coup, je suis toujours assez refroidie par l’idée d’ouvrir une page FB, d’autant plus que je sais maintenant que ce truc est lié financièrement à Goldman Sachs.

  13. un des problèmes des séries, c’est qu’il y en a trop ( &, dans ce surnombre, beaucoup ( trop ) d’excellentes ). D’où en découle le choix des heures à y consacrer ( trop )… J’ai toujours milité pour une mauvaise TV, nous donnant du temps pour vivre… Mais, comme je suis faible, je cède à la tentation. Perso, cette année, « Boardwalk Empire » m’a emballé. La forme est parfaite ( les moyens sont là, mais c’est pas du gaspillage ), le casting impec’ ( Buscemi, whaow!, mais tous sont excellents ), le drame implacablement noué ( à la fois dans les rapports individuels et sociaux; le dessous de cartes politiques explicitement exhibé est toujours d’actualité; la série est clairement politique ), tous les ingrédients noirs étant convoqués ( avec ce qu’il faut de sexe & de violence ( brutale ) )… C’est une magnifique tragédie.
    « Treme », c’est aussi la classe ( brosser le portrait d’une ville comme La Nouvelle-Orleans après l’ouragan Katrina, c’est pas un mince challenge ). Le mec derrière est un as: David Simon ( « The Wire », « Generation Kill » ) a l’art de saisir toutes les composantes d’une histoire ( de la vue générale aux infimes détails, en passant par un « centre secret » gouvernant le tout… ).
    Je dis des évidences et des banalités… la faute à ces créateurs…

  14. Ah mais non, c’est pas parce que ce sont des évidences que c’est banal ! :) C’est vrai qu’il y a trop de séries (ce qui souligne le peu d’autres choses d’intérêt à voir sur les chaînes, et finalement également, le peu de choses sans intérêt qu’on ne regarde de toute façon pas)… « Boardwalk Empire », j’ai beaucoup aimé aussi, bien que je n’aie pas tout vu. « Treme », pas vu, mais je sais que c’est très bien.

  15. Tu m’as fait repenser à l’admirable « Pollock » avec Ed Harris (quel acteur… et quel peintre !), mais je me souviens beaucoup plus des toiles que de la musique…

    Un film à revoir, et à réécouter !

    (Question séries, je n’ai pas Paris Première, juste FR3 actualités régionales.)

    1. Oui, j’ai beaucoup aimé « Pollock » aussi (on en avait parlé, je crois me souvenir, non ?) Ce film m’avait aidé à comprendre un peu mieux sa peinture. Tu sais, c’est étrange, mais c’est grâce à ce film que j’ai compris qu’il y avait, aussi bien chez les peintres que chez les écrivains, des artistes plus « rythmiques » et d’autres plus « mélodistes ». Enfin c’est comme ça que je le ressens. :)
      (La BO était déjà pas mal, mais Beal s’est énormément affirmé et affiné depuis.)

  16. Je vais faire une expédition à la Fnac début novembre, et voir si la série est en DVD. Je veux aussi mettre la main sur la ressortie de « La nuit du chasseur » en DVD collector. (Ça va m’coûter un bras, mais là, j’m’en fiche.)

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