L’affaire Guéant me paraît, vue de loin, en zappant chaque jour d’un titre du Monde à l’autre histoire de rester un peu au courant des événements du pays des zombies, une sorte de gag récurrent. D’abord, de Une en Une, la trombine pas marrante de l’ancien ministre apparaît, tournée à gauche, à droite ou de trois-quarts ou de profil, pendant qu’il entre dans un ministère ou qu’il sort d’une chancellerie. À cause de ces changements systématiques de vues qui, de jour en jour, donnent la fausse impression que l’enquête avance, ce visage toujours fermé me fait vaguement songer à celui de Buster Keaton, imperturbable malgré toutes les catastrophes qui tombent sur lui. Hier, ça a fini par me fait rire, d’autant que les justifications diverses des sommes trouvées sont présentées à une telle vitesse et dans une telle incohérence que le bombardement des titres devient lui aussi comique. Ce n’est pas seulement, au fond, de la faute de l’intéressé. On dirait surtout que les journalistes, mis en bouche par l’affaire Cahuzac, ont hâte de croquer maintenant un peu dans la chair de la droite, en oubliant qu’il serait bienvenu de leur part de vraiment taper à droite, et de continuer de creuser du côté du FN pour mettre en lumière les vilains secrets de toute cette smala prompte à copiner avec qui voudra pour placer du fric en Suisse.
À propos de fachos, je scrolle un peu plus bas sur la page d’ouverture du Monde, et paf, voilà qu’on découvre la jeunesse passée dans les Waffen-SS de Derrick, l’inspecteur soporifique du feuilleton le plus chiant de la terre. (En parallèle, tout le monde oublie de rappeler que le créateur de ce pensum, dont j’ai oublié le nom, était, lui aussi un chaleureux partisan, soi-disant repenti, du sale taré au bras tendu.) Ah, Derrick ! Ça fait des siècles que ce truc effrayant passe en boucle sur les chaînes publiques pour endormir les amortis du bulbe après le déjeuner. Ce machin est presque aussi rasoir que les émissions de Drucker le dimanche, et c’est pas peu dire. Je revois mon père, explosé de rire en découvrant un jour les décors verdâtres de la série, ses scénarios improbables et ses dialogues ahurissants d’absurdité. En suivre un épisode, c’est un peu comme se retrouver enfermé dans le placard d’un mec qui n’aurait pas fait sa lessive depuis six mois, et renifler à pleins poumons le fumet de ses chaussettes. Quant à Horst Tappert, « l’acteur allemand le plus connu au monde » dixit un journaleux, c’était lui aussi une sorte de Buster – évidemment sans le talent immense de l’original – parce que quoi qu’il arrive, son visage ne changeait jamais d’expression, si l’on peut appeler « expression » le mufle blême à la paupière lourde qu’il exposait entre deux borborygmes. Ce qui prouve, s’il en était besoin, que deux années passées à astiquer le gros canon d’un char Tigre en écoutant des chants martiaux ne prédispose pas vraiment à jouer Hamlet ou tout autre rôle avec finesse.
Photo : « Muguet chinois », Christine Spadaccini
Hier soir, après ce petit tour d’horizon assez lamentable du rance qui fait constamment notre ordinaire, ne trouvant plus grand-chose à me mettre sous la dent, je me suis ressourcée en allant lire le très joli billet de Nauher sur l’un des premiers mai d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas avoir connu, et j’ai respiré.
Merci pour ce Keaton (Buster reste mon préféré de l’époque du muet). Guéant est moins rigolo tutmême. Quant à Derrick, ne l’ai jamais regardé, c’est dire si je manque de culture TV. En revanche, j’ai regardé sur Arte le joli documentaire de Varda sur Jacques Demy, Pierrot lunaire, s’il en fut. J’étais un peu allergique au rose bonbon à l’époque des Demoiselles mais avec le recul, je trouve ces films moins mièvres que dans mon souvenir. Bien aimé l’interview de Richard Berry qui a tourné dans le film « une chambre en ville » où Demy reconstitue les grèves des chantiers de Nantes et la répression policière. R Berry raconte que les figurants qui jouaient les flics se prenaient tellement au jeu qu’ils cognaient comme de vrais cognes (avec incidents à la clé). Le lendemain, Demy a inversé les rôles. les manifestants de la veille sont devenus flics et vice -versa, avec comme résultat un même enthousiasme dans la nouvelle armée pour bastonner. C’est le joli mois de mai qui me fait penser à cette anecdote.
J’ai fait exceptionnellement long aujourd’hui. Scusi.
Ah ben non, c’est chouette, et l’anecdote est sympa, au contraire, merci ! :)
Ah, Demy, j’ai surtout aimé Peau d’Ane, moi. Mais vraiment aimé. (En plus, Jim Morrison est passé sur le tournage alors bon.)
C’est pas tant Guéant que sa tronche de croque-mort qui me fait rigoler. On dirait l’un des hommes sévères caricaturés jadis par Gotlib dans « La Rubrique à Brac » (j’sais, suis vioque, rhâ)… :D
(Non mais j’en ai marre de toutes ces têtes de carême, à la longue,hahaha !)
Reinecker,Tappert,ces nases, furent nazillons, ils devinrent nasillards sirupeux pour un endoctrinement soft des rescapés de fureurs en folie…Ils leur fallait trouver une aire de tapinage.
Tu as raison, si les journaleux faisaient leur boulot , ils démonteraient les étranges réseaux qui relient les Cahuzac, Frigide Barjot, Karl Zéro, Basile de Koch et bien d’autres, une bande de nuls, qui doivent leurs « succès » grâce à des navigations troubles dans les eaux nauséeuses des GUD.
Enki Bilal avec les « phalanges de l’ordre noir » et « Partie de chasse » a, pourtant tracé des pistes sur les réseaux souterrains qui implacables, manipulent, les leviers du pouvoir. Les pales butlers pourraient entendre la colère qui tonne et chasserait ces casse-couilles, ces busters de leurs citadelles.
Franchement, tes parts d’ombre de ton billet précédent étaient plus plaisantes.
Ouaip. J’ai pas du tout le temps d’écrire depuis quelques mois, c’est affreux. (Et les surcharges dues aux attaques n’aident pas à manager le site.)
Bon, un joli lien pour me faire pardonner :
http://www.rue89.com/rue89-culture/2013/03/24/paris-1914-2013-en-photos-grimpez-dans-notre-fabuleuse-machine-remonter-le
Superbe cette idée de la machine à remonter le temps ; la manipulation de la poignée rouge est très ludique. Merci Sophie pour ce partage.
;) J’ai adoré aussi !
En effet, très joli billet de Nauher… qui rappelle un temps pas si lointain que ça en définitif… A force de nous culpabiliser sur le trou de la retraite ou je ne sais trop quoi qui fait que notre génération est une génération oubliée… Il nous reste ces moments de partage, frais, oxygénants… Et zut à propos du financement des retraites, le pays produits plus qu’en 1945 ou durant les 30 glorieuses… que les machines cotisent et tout ira pour le mieux… (et que les planqués du fisc donnent ce qui nous appartient collectivement !)
C’était ma minute râleuse.
:-)
Très bien, ta minute râleuse.
Dès que je sors la tête de mon tunnel de cass.-co.illeries diverses, je redeviens râleuse. (Ils finissent par nous amortir nous aussi, tous ces hommes gris, à force de nous pomper l’air tout le temps.)