Re-chmodez Jimi Hendrix en rwx, please !

Durant quelques jours, j’ai donc disparu dans les méandres de l’informatique. Comme à chaque fois que ça m’arrive, j’ai du ré-apprivoiser des tas de trucs abscons causant de bande passante, de CPU, de PHP ou de CHMODs*, et extraire à bout de bras les quelques connaissances que j’en avais des tréfonds de ma cervelle, coincées qu’elles étaient sous le fatras coloré plus marrant qui y navigue habituellement.

Comme je suis une fille pratique, j’ai d’abord écumé les forums et les blogs du genre « Migrer un site les doigts dans l’nez », « Réinstaller WordPress sans devenir un serial killer » ou « Ne pas écrabouiller son ordi quand une « Fatal Error » pointe son museau ».  Avant de me décider à œuvrer, j’ai également suivi quelques open twitts concernant mon ancienne plateforme, histoire de voir si j’avais raison de me barrer (et j’ai eu raison, pour le moment du moins : pas qu’OVH soit devenu un mauvais hébergeur, loin de là, mais sa structure mutualisée est, depuis sept mois, pour le moins bordélique).

Bref, on s’en fout, vu que je résume tout ça pour parler de Jimi Hendrix, au bout du compte. Quel rapport ? En fait, il s’est avéré qu’au beau milieu de dizaines de twitts techniques concernant les développements futurs d’OVH, Octave, son jeune PDG, a lâché une note étonnante. En gros, ça disait : « Jimi Hendrix. Comment ce gars pouvait-il jouer comme ça il y a + de 50 ans ? »

J’ai « gulpé ». Ayant moi-même 52 piges et ayant vu et entendu jouer Hendrix vers l’âge de huit ans, je m’suis aperçue qu’il y avait erreur sur le compte des années. Ensuite, le sens caché de la réflexion a fait son chemin dans mes neurones, malgré l’encombrement des données informatiques remontées pour l’occase. « Se pourrait-il, me suis-je dit, qu’aujourd’hui, un jeune type pense qu’Hendrix était une absurdité futuriste en 1969 ? Que sont exactement les années soixante pour un trentenaire de maintenant ? Pense-t-il qu’à l’époque, les gens ne dansaient que sur du bal musette et écoutaient uniquement Piaf, Montand et Bourvil ? A-t-il zappé tout le chambardement du jazz, du R’n B et du rock, cette grande marée qui a enfin nettoyé nos oreilles des rengaines d’avant guerre ? Confondrait-il les fifties et les sixties? Croit-il que les Doors, Otis Redding, Hendrix, Deep Purple, Joplin ou Johnny Winter, pour ne citer qu’eux, étaient des sortes d’ovnis, à l’époque ? »

M’est avis que oui. Apparemment, dans sa tête, le contemporain, ou le futuriste (pour ne pas dire l’intemporel), n’accompagnent que sa propre jeunesse. Il est donc logique qu’il se sente le légitime proprio de tout ce qui peut appartenir à son tempo à lui. Et la façon de jouer d’Hendrix, encore en avance aujourd’hui, en fait partie. Tant mieux, au fond. Car j’ai ensuite songé que de ce côté aussi, ce n’était pas folichon d’avoir trente ans aujourd’hui en France. Non seulement ce pays n’a donné au monde aucun musicien de rock ou de R n’ B (on est bien meilleurs en jazz, quand même) du niveau d’Hendrix et des autres, mais en plus, côté grand public, on s’est ré-enlisés depuis vingt ans dans une routine musicale axée sur la variété « druckerophile », avec remise en route des momies des seventies et de leurs couplet-refrain-couplet-refrain-ad lib rasoirs. Pareil avec la peinture, la BD, l’humour, le théâtre… et pas mal d’autres choses, en fait. Comme si, finalement, les années soixante et soixante-dix n’avaient été qu’un puissant rayon de soleil déchirant les nuages entre deux orages infiniment longs.

Il n’aura pas connu ça, notre trentenaire, puisqu’il a vu le jour dans la grisaille revenue des eighties thatchériennes. On le comprend parfaitement, donc. Mais qu’il se dise que pour tous ceux qui sont nés avant (ou, comme moi, en même temps que) cette éclaircie fabuleuse, et qui avaient vingt ans, trente ans ou quarante ans quand elle s’est effacée, l’orage dure maintenant depuis plus de trente ans.

Et ça, mille tonnerres, c’est encore moins folichon, tu peux me croire, Octave.

* En informatique, sur un système Unix, le CHMOD est une permission accordée (ou non) aux dossiers et fichiers d’une arborescence (voir sur Wiki pour plus d’infos). En gros, « rwx », c’est l’autorisation la plus ouverte (soit lire, écrire et exécuter).

37 réponses

  1. Hélas tous ces princes sont morts plutôt jeunes. Hendrix, Jim , Otis, Janis en tête, mais Jerry Garcia (attaque cardiaque), Frank Zappa (cancer de la prostate) ou Captain Beefheart ont à peine dépassé la 50aine. Tous ces merveilleux cinglés ne carburaient pas au Vichy fraise.
    Ceci dit je ne suis pas nostalgique, y’a des p’tits nouveaux / nouvelles intéressants (Fredo Viola, Avishai Cohen, Melody Gardot )
    Tu m’as fait un petit coup de revenez-y .Suis allée réécouter de vieux morceaux que j’aimais bien comme ce Tobacco road. Tiens lui est encore vivant.
    http://www.youtube.com/watch?v=mfqq2Jkv64c

    1. Oui, sont morts jeunes, se sont fait avoir par les hommes gris qui leur vendaient de la mort colorée pour, au final, écraser leur talent… Trop naïfs, sans doute (mais le génie est propice à l’emprise des malfaisants).
      C’est pas de la nostalgie, de ma part. Enfin si, mais pas de la nostalgie triste, faut pas se retourner, ça ne sert à rien. C’est juste que ça me fait sourire, la réflexion d’Octave. Je me dis qu’il n’a sans doute pas réalisé que cette génération de musiciens, née à la fin des années quarante (à la sortie de l’enfer, quoi), s’appuyait elle-même sur une génération formidable de jazzmen et de bluesmen nés avant-guerre. Il s’est probablement passé plus de choses au début du vingtième siècle, côté musique et cinoche, que maintenant, en tout cas. :)

      Cadeau Bonus en échange de Burdon (tu remarqueras, toi qui me connais et qui sais comment je suis, que là, je suis à la batterie derrière Johnny, mouhahahaha !) :
      http://www.youtube.com/watch?v=wQPlU5q1CBI

      (Bon, non, c’est pas moi, c’est Richard Hughes, le batteur, so far. Pf.)

  2. La télé feuillette les albums jaunis des petits princes à deux balles et des starlettes des années seventeens. La plupart ont surfé, artificiellement, sur la vague des libérations de l’époque sans y comprendre grand chose. Peu ont creusé des sillons profonds. Le star système a préféré enrichir des produits sans envergure qui distrayaient sans faire penser .
    C’est un peu moins vrai pour le théâtre, la musique, et la danse quoiqu’il y ait une tendance lourde à programmer, revisiter, des classiques, y compris contemporains, histoire de laisser accroire au public qu’il est cultivé, alors que se cultiver, c’est au contraire accepter de se laisser surprendre….Tiens, je me prends au mot , j’m’en vais écouter cet hendrixcachichix, j’adore la musique andalouse…:)

    1. Tu as le droit de ne pas aimer, hahaha !
      Non, pour la musique rock, ici, c’est râpé (mais peut-être que pour le rap ça ne l’est pas), quand même… J’ai entendu tout à l’heure, en faisant deux courses, la dernière « geignarderie » d’un des ex de Téléphone, ça m’a tuée. C’est du faux rock et de la vraie variétoche, épibasta. Horreur de ça.

  3. Difficile pour ton Octave d’être juste, il est de la génération gam(m)e boy…..
    Je ne connait pas le contextuel de sa réflexion, mais il est vrai que les Hendrix et autres beatlles furent des ovnis à leurs apparitions, fulgurantes dans tous les sens du terme….Les grands médias dans leur entreprise d’abrutissement systémique saoulent (musik) le bon peuple de variétés inodores et momifiées, en faisant au passage tourner le pèze dans un fructueux entre soi. Les sheila, Cloclo , cons sorts des placards, constamment, ne m’ont ,jamais, intéressés…Par contre, la chanson française de qualités, contemporaines ou un peu moins, je n’éprouve pas la nécessite de m’en laver les oreilles. Ce qui ne m’empêche pas d’aimer Hendrix et ses potes….A vrai dire , je suis assez éclectique avec une tendance « a cappella »….

  4. Ah tiens, Octave le Grand a réinventé le pilori virtuel. Quand on lui déplaît, on est mis au carcan, couvert de tomates pourries et banni de ses terres. R’gardez-moi ça :
    http://forum.ovh.com/showthread.php?t=86808

    Pour avoir lu les interventions de tous ces gens durant sept mois, je peux vous dire qu’à part une certaine désespérance, ils n’ont jamais tenu de propos haineux ou diffamatoires, et très très peu de colère en comparaison des problèmes constants qu’ils subissaient.
    C’est quand même épatant comme système :
    – tu paies un hébergement censé marcher, tu as des problèmes techniques incessants, des coupures et des messages d’erreur, rien n’est stable, tout est lent, et de temps en temps, ton site est mystérieusement coupé
    – tu as affaire à un support incompétent qui te dit toujours que c’est de ta faute, et qui ne te livre jamais d’explications claires
    – si tu pars avant terme, tu t’assois sur l’argent que tu as versé – en ce qui me concerne, depuis strictement-confidentiel et avec ce nouveau site, je me suis assise sur 9 mois de versement
    Et quand tu vas chercher un minimum d’explications sur le forum, pour peu qu’à la fin, épuisé, tu dises que ça marche mieux ailleurs (ce que j’ai fait en restant polie et sans citer de concurrent), blam, tu es banni, et ton nom est inscrit sur une liste d’infâmie. Méthode Louis XI, quoi.
    Génial, non ? :D

    1. Finalement, le but cocasse et paradoxal de cette trouvaille est de chercher à figurer dans cette liste. C’est à double tranchant, c’t’histoire : plus on y sera nombreux, plus le visiteur comprendra qu’un truc cloche quelque part…

  5. Il a un problème aigu l’octave. Dans le rôle de l’Auguste, il fait clown pitoyable…Il devrait se sentir concerné par l’illettrisme chez les cadres, s’il arrive à déchiffrer sa prose, prosaïquement bourrée de fautes en tout genre…

  6. Je me souviens lorsque j’écoutais Campus de Michel Lancelot sur Europe 1, planqué sous mon édredon.
    Mais « le jeune lion » est mort avec toutes ses dents. Je l’imagine pas grand père, faut dire.
    Faut dire aussi que c’était plus facile de faire de la contre culture à l’époque que maintenant puisque les vioques de la culture « officielle » se revendiquent à présent de la contre culture d’alors.

    1. Oui, gros inconvénient ! :D Sauf qu’ils ont tout figé dans le plexi, ce qui en fait un dogme, comme toujours quand les tenants d’une idée refusent de la laisser évoluer.
      Il y a une hypocrisie phénoménale, dans tout ça (mais tu le sais bien) : beaucoup de ceux qui prônaient des valeurs égalitaires quand ils étaient jeunes sont devenus exactement comme ceux contre lesquels ils luttaient (et ils leur ressemblaient déjà, sans doute). Sauf que l’apparence et le langage n’a pas suivi le racornissement intérieur : cette génération-là, aux manettes en ce moment, se donne une apparence libre, bohème, etc., cause musique et cinoche, mais pense comme les bourgeois du XIXe siècle, et n’oublie surtout jamais de profiter, financièrement, à fond du système qu’elle honnissait (ou croyait honnir) étant jeune.
      Non, en fait rien ne change, le réel vieillissement marque toujours une trahison des nobles idéaux. Ça a toujours été comme ça.

  7. L’ultime preuve, c’est que l’humour ravageur des années soixante-dix est redevenu de « l’esprit » moqueur bien français (tendance Louis XIV dans « Ridicule ») ou du comique troupier… (On a même moins d’humour maintenant qu’on en avait du temps des « Tontons flingueurs », c’est dire.)

  8. Ça m’ rappelle ces pubs à la con de 2013 où on te montre des grands-pères de 1930, en oubliant qu’un grand-père d’aujourd’hui est contemporain des Stones et de Led Zeppeline et que Tino Rossi c’était pour les vieux nés en 1910. Les gens sont de vrais cons, parfois, souvent, à l’occasion, passionnément. J’ai lu un commentaire sur un site : « Ferré était visionnaire, il parlait d’ordinateurs en 1975, dans une chanson… » Comme si on avait attendu 1990 pour connaître le mot…
    Bref… j’ vais m’ regarder un Yogi l’Ours ou un Roquet-Belles-Oreilles…
    Voilà.

    1. :D
      Ouais, j’ai l’impression que les trentenaires de maintenant pensent aussi qu’on écoute les scies de Didier Barbelivien avec extase, alors que c’était déjà not’ cauchemar à vingt piges. On luttait, nous, on se bouchait les oreilles comme des fous, on montait le son de Zappa pour écrabouiller Zitrone.
      Bon, c’est les autres qu’ont gagné. Du coup, les maisons de retraite continuent à diffuser du Mireille Mathieu à des gens qui se sont roulés dans la gadoue de l’île de Wight. Et dans trente ans, si on y va, on nous passera du Benjamin Biolay. L’enfer.

      (Je crois quant à moi que je vais reprendre un peu de « Baby Cart », j’me suis offert le coffret complet. Ça va me calmer.)

  9. (Est-ce que c’est de notre faute, à nous, si les jeunes de maintenant sont plus vieux que nous mais nous piquent les trucs de notre jeunesse, et si les plus vieux que nous se croient plus jeunes que nous et nous piquent les trucs de notre jeunesse, hein, hein ?)
    (Merde quoi.)

  10. (N’empêche. Ça fait fait vraiment bizarre d’être née en 1960, d’avoir été ado en 75, et de devoir vivre ensuite dans une ambiance chiante très 1950 entre 1980 et 2008, puis dans une ambiance mortifère très 1935 depuis 5 ans. Vraiment bizarre.)

  11. Juste pour Zoé : Captain Beefheart avait largement dépassé la cinquantaine… il avait presque 70 ans… ouais, je sais, le temps passe vite…

    Chavez est mort, et ça pleure dans les chaumières pseudo de gauche sur la dépouille de ce vieux singe autocrate. Bref…

  12. « Il faut, et c’est urgent en matière de littérature, prendre chaque oeuvre et voir ce que ça dit. »
    François Bégaudeau, mars 2013.

    Je suis VRAIMENT contente d’avoir vécu jusqu’à ce jour pour lire une pensée contemporaine aussi LUMINEUSE.
    (Montesquieu, Rousseau et Kant, à côté, c’est du pipi d’chat, j’vous prie de le croire.)

    1. Bégaudeau, c’est pas un veau question réflexion… j’ajouterais même qu’il est urgent de prendre des tableaux et de regarder ce que ça représente… ou pas…

  13. « Il faut, et c’est urgent en matière de littérature, ouvrir un livre en commençant par le début, et lire les voyelles et les consonnes de façon à former d’abord des mots, puis des phrases entières qui diront alors des trucs dont on ne se serait absolument pas douté si on ne l’avait pas ouvert (le livre). »
    Sophie K., mars 2013.


    (Bon, j’avoue, c’est beaucoup moins bien.)

  14. Pour être objectif, il faut, pour tout bon critique, et c’est urgent en matière de littérature, éviter de lire en fin de semaine où çà me dit ,forcément, forcément sublime….

  15. Tu manies vachement bien les baguettes sofka.
    tiens celui-là, toujours bien vivant. je l’ai vu- entendu à Marciac.
    Deux heures de bonheur.
    Mon Chien, je sais que Coeur de Boeuf il était plus vieux. N’empèche il est déjà mort.

  16. Je pourrais signer des deux mains ton post, Sophie… (Mais bon, ça on l’sait hein :) )

    A part ça j’suis allé voir hier soir « Sugar Man » au ciné (avec mon p’tit caramel, qui te fait un bizon). Et il FAUT que t’ailles voir (que vous alliez voir) ce docu hallucinant. L’histoire édifiante et extraordinaire d’un mec, Rodriguez. Un americano-mexicain, song-writer de Detroit, avec une voix sublime (tu prends Dylan, Cohen, Hendricks, t’additionnes, tu mets au carré…). Et ce mec est resté totalement inconnu aux USA pendant 40 ans. Alors qu’en Afrique du Sud, et sans qu’il le sache jamais, il est devenu une super star, une idole, dont tout le monde pensait qu’il s’était suicidé… Pendant que le mec, redevenu maçon pour faire bouffer sa famille, avait remisé sa guitare et sa voix, des millions de gens dansaient sur son premier album ; et ça pendant des années… Jusqu’à ce qu’un mec parte à sa recherche, se doutant qu’il n’était pas mort… (Et ils l’ont retrouvé… )
    Ce docu parle de toute cette effarante affaire, c’est juste le TOP, et ça te fout une pêche… Vraiment, faut voir ce truc-là ; et acheter le CD, ça vaut largement le coup. Depuis ce docu, le mec (qui a passé 70 ans !) reprend du service et fait des tournées. A Paris les deux dates de juin sont déjà complètes, y a plus de place :(

    1. Ach, j’ai supprimé les enregistrements, c’était compliqué pour les modérations (dès que la personne enregistrée commentait sans se logger, il fallait que je la modère à chaque fois)… Mais je corrige de temps en temps moi-même… et pis le bison, j’aime beaucoup !

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