Edward Hopper
Mot honni en passe de terrasser complètement les mots « travail » et « métier ». Normal en ces temps de disette intellectuelle et de chômage de masse, dans une époque où l’élite autoproclamée voudrait voir disparaître ces pue-la-sueur d’ouvriers, de paysans et d’artisans pour les remplacer par d’aimables Kent cravatés ou des Barbies mises-en-plitées debout derrière des comptoirs ou assis derrière des ordinateurs. Depuis que les femmes de ménage sont devenues des « techniciennes de surface », il était logique de remplacer les mots « travail » et « travailleurs », un peu rudes pour les beaux esprits à la conscience encore titillée*, par « emploi » et « employés », ces mots apparemment plus neutres. Pour ceux qui savourent la langue française dans sa très riche complexité, ça ne passe pas, cependant. Car l’employé, on le devine, n’est qu’un « ployant » interchangeable et corvéable, là où le travailleur, ayant gagné respect et galons dans les nombreuses luttes de classe du XXe siècle, s’accroche comme une tique furieuse à son entreprise menacée, ce qui est assez gênant pour les affaires, n’est-ce pas, mon cher. Quant à celui qui pratique un « métier », il démontre par sa seule existence que le savoir faire ne s’acquiert pas en claquant des doigts, et que si on le jette, on jette avec lui l’expérience acquise au cours d’une vie, et voilà qui est aussi terriblement gênant, car cette idée de valeur et de maîtrise ne cadre pas DU TOUT avec l’idée, que les ploutocrates répandent partout, que tout le monde humain se vaut dans tous les domaines. Mais il est logique que les banquiers qui nous dirigent utilisent les mots qu’ils aiment : autrefois, l’employé était forcément « de banque ». (Aujourd’hui, il l’est « de casino », ce qui revient au même.)
*Titillée, certes, non par l’injustice sociale, mais juste par le fait que celle-ci soit visible, ô horreur !