Hors-zone

Marooned pirate, illustration d’Howard Pyle

L’autre jour, ma passion avouée pour les corsaires et les pirates (valeur dite « de gauche ») m’a poussée à acheter le dernier « Figaro – Histoire » (journal dit « de droite ») qui leur est, en partie, consacré. J’y ai également trouvé un dossier sur Malte (ordre de chevalerie « de droite » selon la tradition), un autre sur Rocamadour, un troisième sur l’expo « Hérode le Grand » du Musée d’Israël de Jérusalem, et un dernier sur Guédelon, le fameux château-fort que des passionnés d’archéologie construisent à l’ancienne, en Puisaye, près de Saint-Sauveur. Bref, rien que des articles que j’avais envie de lire – je n’ai d’ailleurs pas fini d’éplucher ce numéro. En rentrant, j’ai rigolé et je me suis dit : « Ça y est, ma poule, tu achètes ce genre de journal, t’es « de droite » selon les critères en vigueur en ce moment… » Et puis j’ai mis la plaisanterie de côté, et j’ai cogité.

Merdalors. Serais-je « de droite » parce que l’archéologie, l’Histoire et, plus généralement, l’évolution humaine me régalent ? Si c’est le cas, ça voudrait dire que je suis « de droite » depuis l’âge de sept ans, c’est-à-dire depuis 1967, année où mes grands-parents m’ont emmenée voir l’exposition « Toutankhamon et son époque » au Petit Palais. De Gaulle était alors le chef de la France, Malraux son ministre de la culture – ou plutôt « chargé des Affaires Culturelles », comme on le disait à ce moment-là. Et Christiane Desroches-Noblecourt était le commissaire général génial de cette expo sublime, qui allait durablement imprégner ma petite cervelle, au point que j’ai passé plus de dix ans à découper tout ce que je pouvais dégotter sur l’Égypte antique (ce gros cahier de collages est encore enfoui quelque part dans mes affaires). C’est à cause de cette soif étrange que j’ai ensuite étudié le système de croyances des Égyptiens, que je l’ai comparé aux dieux des autres civilisations, que j’ai compris les assimilations grecques et romaines, que j’ai carburé sur l’ensemble jusqu‘aux dieux celtes, puis, plus tard, sur les religions du Livre, et plus tard encore, sur l’ésotérisme, pour aboutir enfin aux philosophies et croyances asiatiques, du Bouddhisme au Taoïsme.

Tu vas penser que ce désir de comprendre les religions me classe dans la catégorie « religieuse » ? Eh ben pas du tout, en fait. Je n’ai jamais été religieuse, ni attirée par les rituels autrement que pour essayer de piger tout ce qu’ils recouvrent, impliquent et expliquent. Je serais donc, à l’aune des critères en vigueur, « de gauche ». Je te le confirme : je suis de gauche depuis… probablement l’âge de 6 ans, rentrée des classes 1966, date à laquelle j’ai vu une petite fille se faire enquiquiner dans la cour de l’école par d’autres petites filles pour une raison qui m’était totalement incompréhensible – on m’a expliqué par la suite que c’était à cause de la couleur de sa peau, ce qui ne m’a pas plus aidée à capter le pourquoi du comment de ce harcèlement. Par contre, comme j’étais baptisée protestante, on m’a bien fait sentir, au lycée cette fois, que je n’étais pas, moi non plus, « comme les autres », qui portaient leurs médailles de la Vierge autour du cou. C’est alors (vers le début des années 1970) que j’ai commencé à admettre qu’il y avait beaucoup, beaucoup de crétins parmi les humains, jeunes et vieux, hommes et femmes confondus. Pensée qui ne reflète pas, je te le concède, les critères « de gauche » en vigueur, et qui a donc irrémédiablement fait de moi, à partir de l’âge de dix ans, une personne élitiste, donc « de droite », et ce sans que je le soupçonne un instant, vu que j’écoutais du blues, du jazz, du rock et du reggae, musiques dites « de gauche » (mais mon engouement pour Mozart, Vivaldi, Chopin et Wagner, à l’œuvre musicale considérée comme « de droite », levait quand même un lièvre de taille, il faut le reconnaître).

Mais bon. Je ne soupçonnais tellement pas que j’étais en réalité « de droite » qu’en 1981, comme plein d’autres jeunes clampins naïfs de ma génération, j’ai voté Mitterrand. J’aurais dû me douter qu’il y avait un loup quelque part, d’autant que mon grand-père, qui était, lui, gaulliste, donc « de droite » (selon les critères de l’époque, gnh), répétait à l’envi qu’on ne devait pas voter pour un menteur, un gars qui avait soutenu l’Algérie Française et qui copinait, avant ça, avec d’autres gens très, très à droite. Je n’ai compris que bien après l’élection (je suis lente) que mon grand-père « de droite » avait des valeurs « de gauche », et que l’homme « de gauche » dissimulait parfois un gars « de droite ». C’est donc à l’aube des années 1980 que j’ai envisagé pour la première fois qu’être « de droite » ou « de gauche » ne signifiait strictement rien. C’est également à peu près à cette date que j’ai définitivement envoyé valdinguer toutes les religions et leurs rituels hors de mon existence – sauf pour continuer à les étudier, donc. Et c’est aussi à cette époque que, bac lettres en poche, je me suis dit que j’aurais dû faire beaucoup plus d’efforts en maths* et en physique, étant donné mon grand désir de cohérence et de logique en matière de compréhension du monde.

* « L’étude des nombres pour sortir du binaire ! » me disais-je jusqu’à l’orée des années 1990, date à laquelle l’ordinateur a fait son apparition.

14 réponses

  1. Je te résume, donc : de zéro à 5 ans, j’étais naturellement de droite (maison, chaleur, mes jouets, manger, boire, dormir). A 6 ans, j’étais de gauche en découvrant le racisme, mais à 7 je suis devenue de droite à cause d’une expo. A dix ans, j’étais de gauche depuis 68, mais je suis devenue de droite à cause de cathos stupides qui m’ont rendue élitiste. A 15, je suis repassée à gauche à cause du rock et ensuite de Bob Marley. A 21, j’ai voté à gauche sans savoir que j’étais fondamentalement de droite parce que j’aimais les Classiques et l’Histoire, mais en fait j’ai ensuite découvert que je n’avais pas réellement voté à gauche et ça m’a énervée. J’ai haï les années 1980, années-fric, ce qui faisait de moi une nana de gauche, mais le fait de ne pas aimer Mitterrand faisait aussi de moi une nana de droite.
    …Après, ben j’ai laissé tomber, c’était devenu trop compliqué.

  2. Tu es trop sincère, trop franche du collier (de la reine) donc pas assez adroite pour un monde hypocrite. Tu as le verbe délié, l’analyse, prompte, pas gauche du tout, du cerveau comme de tes mains. Tu ne te crois pas le centre de l’univers. Il est facile de conclure que l’échiquier politique n’attire pas ta considération , que l’esprit critique est prioritaire et que n’as besoin de personne pour te forger tes opinions. Comme on le disait en Éthiopie, tu peux y aller ,c’est de l’acier…continues ta route forgeronne….

  3. Elle est bien cette peinture d’un corsaire désœuvré, il n’y a plus de galions passant à l’horizon, ils ont disparu comme les commentateurs sur les blogs….Il est difficile de se faire face-boucannier…..de monter à l’abordage dans la foule des faux amis!

    1. Tu sais, je préfère n’avoir pas trop de commentateurs mais échanger vraiment avec ceux qui postent ici, plutôt que de devoir lire tout un tas de donneurs d’opinions toutes faites. Qualité, pas quantité (je suis élitiste, donc là c’est une réflexion de drouâte), na.
      Pis on n’est pas obligé de commenter, non plus. Faut faire comme on le sent, sans forcer. L’obligation de répondre à tout tout le temps, ces derniers temps, c’est devenu de la tyrannie !
      (Me revoilà de gôche, hop !)
      ;)

  4. (Bon, c’est sûr que si les humains arrêtaient un peu de se massacrer dans tous les coins pour le pognon, de ravager la planète, d’empoisonner l’eau et l’air, d’édicter des règles débiles, de nous les briser avec des dieux comme-ci et des tenues comme-ça, on irait tous mieux, j’pense…)(…mais c’est pas demain, alors…)
    :D

  5. Dis donc ça m’a mis le mal de mer… cette histoire un coup à droite, un coup à gauche… :)

    Pour être sincère, ce billet est très sympathique à lire parce qu’on s’y retrouve aussi un peu…

    1. :) J’crois qu’on est tous un peu comme ça, effectivement.
      (Ne me dis pas qu’un Marseillais comme toi peut avoir le mal de mer, je ne le croirai jamais, hahaha !)

  6. Soph, la parigote,

    Saches qu’un marseillais peut tout, le meilleur et le pire, il est Obni-potens…Il y en a même un qui, faisant du camping sauvage, a bouché le vieux port en plantant une sardine….

  7. Ah ah ! je reconnais bien là le ni ni. Je suis de gauche parce que la droite est encombrée de gens qui prétendent être de gauche. Il n’y a jamais eu vraiment un pouvoir de gauche en France. Un peu en 1936, un peu à la Libération avec un De Gaulle de droite mais sous contrôle du CNR et un peu en 1981 jusqu’en 1983. Je suis de gauche pour tirer au maximum vers l’équilibre.
    C’est un peu ce que tu décris. On dirait ces objets qui ont le socle bien plombé et qui reviennent toujours à l’équilibre.

    1. Coucou my Zoé ! :)
      D’acc’ sur le CNR, oui, c’est ce que je voulais évoquer en interligne en parlant de mon grand-père… C’est en mémoire d’eux qu’on se doit de se rebeller contre la super-duperie actuelle. Le PS est plein à craquer de gens qui se prétendent de gauche et pratiquent une politique néo-lib’ insupportable, aussi. Faudrait jeter toute cette génération de technocrates sans foi ni loi d’un côté comme de l’autre à la poubelle.
      Toi, c’est différent, tu es idéaliste (c’est un compliment) et tu agis. (Moi je suis une teigne et je grommelle, hahahaha !)

Répondre à patrick verroust Annuler la réponse